LA DISPARITION D’UNE FAMILLE
Avant que sa fille de 5 ans ne se soit égarée
entre la salle à manger et la cuisine
elle l’avait averti : « — Cette maison n’est ni grande ni petite, mais à la moindre
inattention les signaux routiers s’effaceront
et tu auras, enfin, perdu dans cette vie toute espérance. »
Avant que son fils de 10 ans ne se soit égaré
entre la salle de bain et la chambre aux jouets
il l’avait averti : « — Celle-là, la maison où tu vis,
n’est ni large ni mince : mince seulement comme un cheveu
et large peut-être comme l’aurore,
mais à la moindre inattention les signaux routiers s’effaceront
et tu auras, enfin, perdu dans cette vie toute espérance. »
Avant que « Musch » et « Gurba », les chats de la maison,
n’aient disparu dans le salon
entre des coussins et un Bouddha de porcelaine,
il les avait avertis :
« — Cette maison que nous avons partagé pendant tant d’années
est aussi basse que le sol et aussi haute et même plus que le ciel,
mais, soyez vigilants,
parce qu’à la moindre inattention vous pourriez confondre les signaux routiers
et perdre, enfin, dans cette vie toute espérance. »
Avant que « Sogol », son petit fox-terrier, n’ait disparu
à la septième marche de l’escalier qui mène au 2èmeétage,
il lui avait dit : « — Attention, mon vieux camarade,
par les fenêtres de cette maison entre le temps,
par les portes sort l’espace ;
à la moindre inattention tu n’entendras plus les signaux routiers
et tu auras, enfin, perdu dans cette vie toute espérance. »
Ce dernier jour, avant que lui-même ne se soit égaré
entre le petit-déjeuner et l’heure du thé,
il s’était averti lui-même intérieurement :
« — Maintenant que le temps est mort
et que l’espace agonise dans le lit de ma femme,
je voudrais dire à ceux qui viendront,
que dans cette maison misérable
il n’y eut jamais ni aucune route ni aucun signal
et que j’ai, enfin, perdu dans cette vie toute espérance. »
Juan Luis Martínez, La Nueva Novela, Ediciones Archivos, 1977
Traduction : Viviana Méndez y Bastien Gallet